Il y a quelques semaines, j’ai eu la chance de pouvoir rencontrer Amélie et Benjamin, le duo Telegraph, chez eux, lors d’un entretien très sympa et hautement passionné.
Fier de leur premier disque, « Love Is The Key », le tandem n’a pas hésité une seconde, à dévoiler avec beaucoup de générosité et de sincérité les coulisses de sa musique vibrante et libre.
Groupe en devenir, et promis à un bel avenir, il défend ici une intègre vision de la musique, entre utopie créative et lucidité salvatrice.
Bonjour Telegraph, en quelques mots qui êtes-vous ?
Benjamin : Je fais la guitare et les loopers. J’ai commencé la gratte, je devais avoir 16 ans. J’y ai pris gout très très très rapidement : j’ai arrêté tout ce qu’il y avait autour pour m’y consacrer totalement.
Amélie : Je chante, je compose, enfin la base brute et je lance les samples. Je n’étais pas musicienne, enfin je faisais du chant au conservatoire lyrique. Je chante depuis que je suis toute petite mais ce n’était pas ma priorité, j’étais en fac de psycho mais j’avais ça en moi. Je ne voulais pas forcément monter de groupe mais je suis tombée dans le bain.
Benjamin : En fait, ce sont deux potes communs qui nous ont présentés, elle pour un pari sur une bouteille de coca et moi, parce que cela devait me tomber dessus. La rencontre a failli ne pas se faire, on a failli ne pas se voir. Je cherchais quelqu’un au chant qui me plairait vraiment. Je me suis dit : on va se voir quand même. La sauce a pris en 2009. Mais c’était le premier groupe d’Amélie !
Qu’est-ce que tu veux dire par là ?
Benjamin: Même si j’avais de l’expérience en groupe : toutes les gamelles que tu peux manger au départ, ce n’est pas en lui racontant, qu’elle allait les éviter donc il fallait se les manger. Donc tout a pris un peu de temps.
(Amélie : je les ai mangées !).
On a déménagé, et donc on a arrêté puis on s’est relancés en 2015. On a postulé à Blesles, on a été sélectionnés. Et là, on n’avait rien de prêt, c’était presque du bluff.
C’est la perspective du tremplin du festival des Apéros musique de Blesles qui vous a mis le pied à l’étrier ? Vous aviez des compos quand même ?
Benjamin : On avait enregistré les chansons qu’on leur avait envoyées à deux mais on ne savait pas les jouer en live. Il a fallu qu’on apprenne à les jouer à deux, avec le looper, le tout en trois mois pour faire 20 minutes.
Amélie : Quand on est arrivés en Auvergne on est partis bosser car il fallait bien se nourrir. Nous deux on est pas trop…..comment dire ? On est en « marge »? C’est un bien grand mot mais. Est-ce que c’est le propre des passionnés, que d’avoir du mal à s’intégrer au système Travail ? Mais c’était une évidence, j’ai lâché mon taf et je suis rentrée dans une grande période d’introspection.
Benjamin : Je me rappelle qu’Amélie m’a dit si ça ne marche pas pour le tremplin de Blesles, je lâche l’affaire, j’arrête. Après je ne pense pas que c’est ce qu’elle aurait fait, mais c’est ce qu’elle m’a dit !
Amélie : Telegraph, c’est un peu ça : être sur un fil à se lancer des défis!
Est-ce que Telegraph existait vraiment avant ça, avec une lente gestation depuis 2009?
Benjamin : oui c’est un peu ça. Il y avait un groupe au départ : on était trois, quatre. Le temps de créer un univers, le temps d’apprendre à se connaitre, au final, on s’est retrouvés tous les deux. Et cela nous va bien d’ailleurs. Au début, on s’est dit: bon on est tout les deux mais vaut mieux être seul que mal accompagné. Et puis après, on y a pris gout : on a vu qu’on pouvait faire quelque chose qui nous plaisait vraiment, juste à deux !
Qu’est ce qui est plus simple à deux, ou plus fun à deux ?
Benjamin : Plus simple pour commencer : si on joue avec d’autres gens, il faut qu’on ait le même état d’esprit, musical, et surtout très important humain. Qu’il y ait un maximum de disponibilité parce qu’on voudrait faire le maximum de choses en musique. Regrouper rien que ces trois choses-là, ce n’est déjà pas évident du tout.
Amélie : Mais, à la base, c’est la connexion humaine, le plus important
Benjamin : Oui, c’est évident. Après, s’il y a moins de technique musicale, quelque part, ce n’est pas très grave. Le plus important c’est vraiment le coté humain. Il faut que le courant passe. Et puis du coup, on peut répéter quand on veut. Il y a un train à garder, et quand les gens ne sont pas dans le couple il faut savoir garder un équilibre.
Amélie : Le truc simple c’est qu’on est vraiment une bulle. C’était quoi ta question ? qu’est ce qui est plus simple ?
Du coup qu’est ce qui est plus fun dans un duo musicalement ? Parce que lorsque j’écoute votre musique je sens qu’il y a vraiment beaucoup de plaisir !
Benjamin : Ah, oui oui oui, c’est sûr ! A ce niveau-là, je ne sais pas si c’est parce que l’on est que deux. Parce que si nous étions avec des gens avec qui, on a le feeling tu vois il y aurait un plaisir différent mais pas moins ni plus.
Amélie : Qu’est ce qui est fun à faire de la musique à deux ? …………(silence)
Benjamin : Ta question peut paraitre simple mais elle est complexe. (Rires)
Benjamin : Effectivement c’est plus délicat de lier, ce que nous arrivons à lier à deux, qu’avec une grosse troupe, avec toutes les différences au niveau personnalité que cela peut comporter. C’est plus fun car tout peut aller plus vite. Il y a un autre truc plus fun c’est que je peux me permettre plein de choses. S’il y avait d’autre zikos derrière, ce ne serait pas la même. Alors que là, on se laisse de la place. Je peux y aller franchement et j’avoue c’est fun ! Des fois je me dis si on prend un autre membre et bien ça je ne le ferais plus.
Amélie : On est sur la même longueur d’onde, sur plein de domaines. Plus il y a de personnes, vu qu’on est tous différents, tout de suite, tout devient plus compliqué. Déjà que nous deux, sommes opposés de temps en temps. Des fois je lui dis « non mais là, c’est ringue !!! c’est ringue !!! ». (Rire général)
Benjamin : Ça, c’est son mot !
Amélie : Non, mais ce que tu m’as sorti hier, la compo, je suis désolée….
Benjamin : Alors tu vois là ce qui est moins fun ! (Rire général). Ah, le champ lexical personnel : pour se comprendre des fois, c’est juste dingue, alors qu’on se connait bien !
Amélie : oui mais là il n’y a pas de tiers-personnes !
Benjamin : On aime bien travailler des fois avec des tiers personnes qui ne font pas partie intégrante du groupe. Théo avec qui on a enregistré le CD permet de faire un entre deux. Parce que justement il se situe bien entre nous deux, au niveau personnalité. Ou les résidences quand tu bosses avec des directeurs artistiques, c’est génial tu peux apprendre plein de trucs. Cette expérience peut remettre des choses en place, surtout quand il y a un petit truc d’égo qui ressort de l’un ou de l’autre : PAF ! La résidence remet tout à plat et c’est réglé !
Amélie: Le truc à deux c’est l’immersion vraiment complète ! Et puis en plus, on vit ensemble ! La vie à deux, la musique, tout est imbriqué. On se lève le matin, on se couche le soir, on pense musique ! Il n’y a pas : on bosse toute la semaine et le week-end c’est répète. Non, ça, cela n’existe pas.
Le groupe est présent tout le temps ?
Benjamin : très très très souvent
Amélie : on vit Telegraph !
Benjamin : Parce qu’on est vraiment passionnés, on adore faire ça. Evidemment ce n’est pas tout le temps, Telegraph, mais c’est vrai qu’il y a très peu de journées où l’on est pas en train de réfléchir à un truc : tiens qu’est-ce que l’on va faire ici ou là ! Parce qu’on aime ça, voilà tout.
La team VoltBass vous suis depuis quelques temps sur les réseaux sociaux. J’ai pu voir toute la fierté et tout l’attachement que vous avez par rapport à votre disque, « Love is The Key ». Qu’est ce qu’il représente pour vous, ce disque ?
Amélie : Pour toi je ne sais pas, mais pour moi c’était important de poser la première matière de Telegraph sur un support. C’est un peu comme notre premier bébé ! Ce qu’il représente, ça parait gros comme ça mais c’est quand même l’accomplissement d’un rêve. Ce n’est pas donné à tout le monde. Pour moi c’est ça c’est une étape importante dans la vie d’un musicien.
En tout cas, je ressens que vous avez mis beaucoup de vous dedans!
Amélie : c’est vraiment quelque chose de personnel. Beaucoup plus profond que ça. Je ne sais pas comment le dire. Je dirais même que c’est un accomplissement pour la propre élévation de soi. Bien sur que ça va servir : pour démarcher les réseaux, faire écouter aux professionnels, partager avec le public, ça sert à ça un support. Mais c’est plus un travail sur soi. C’est une putain d’étape et je suis bien contente de l’avoir fait !
Laurent : Très bonne formule : « une putain d’étape » !
Benjamin : Cela peut être un très bon résumé si tu n’as plus beaucoup de place : « Putain d’étape »
Et pour toi Benjamin ?
Benjamin : Tu vois, depuis l’âge de 16 ans, je fais de la gratte. Comme je te l’ai dit en très peu de temps, j’ai su que je voulais faire ça de ma vie. Par contre, je n’étais jamais vraiment allé en studio pro avant ce CD, alors que ça fait un bail que je fais de la zik. Comme je suis perfectionniste, faut quand même le dire, je n’avais jamais passé le cap. Car pour moi c’est une étape importante. On avait besoin de coucher ce premier set, de laisser aller les morceaux, de les poser sur le disque. De se dire, ils sont là, ils vont vivre leurs vies. Après quelque part, ce n’est plus de notre responsabilité, les chansons se développent d’elles-mêmes ! Tu écoutes tes musiques, elles t’apprennent des choses alors que c’est toi qui les a faites. Pour moi c’était ça ! Il y a le coté rêve aussi car c’est une étape importante. Même si je suis super exigeant, ce n’était pas exactement comme dans ma vision . On s’est mangé des gamelles. Il y a eu plein d’imprévus. On a eu énormément de chance de bosser avec quelqu’un de super compréhensif : Théo, à l’écoute, patient et compétent. Quand on sait qu’on n’a pas beaucoup de temps, qu’il faut être carré alors que t’as jamais eu l’expérience de studio, cela peut, j’imagine, devenir super frustrant. Tu te plantes et tu n’as pas de seconde chance. Nous avons eu cette chance là. C’est notre premier cd. On a eu de bonnes conditions pour le faire et donc pour ça c’est vraiment génial!
Est ce que « Love Is The Key » ne vous dépasse pas un peu maintenant que les gens peuvent l’écouter ?
Amélie : C’est émouvant. Je suis même contente, car je suis une éternelle insatisfaite. Mais j’ai hâte de passer au 2nd set, ça me démange. En fait, je suis tout simplement contente.
Benjamin : Pareil, c’est très bien, qu’il aille partout où il veut. Il faut se détacher. Le premier cd ? tu te dis « whaou c’est trop bien ! Est ce qu’on va faire un truc bien après ? » En fait, à peine, le cd fini nous pensions déjà aux nouvelles compos……
C’est ce qui arrive souvent quand je discute avec des groupes, car toute la création d’un disque prend beaucoup de temps et quand il sort, il fait déjà un peu partie du passé, les groupes sont déjà sur autre chose. C’est le cas pour vous ?
Benjamin : On est encore dedans car il faut savourer. On a des retours : les gens aiment bien ou pas, c’est un partage, faut en profiter.
Amélie : On est sur autre chose, tout est relatif mais on est déjà sur de nouvelles compos. L’univers, l’essence sera toujours la même. Mais nous évoluons encore, pourquoi pas chanter en français ? Donc oui nous sommes sur autre chose mais le pire c’est que ce quelque chose, grandit en nous depuis des mois déjà !
Benjamin : Avec cet album, nous avons énormément appris. Le recul sur notre musique, les arrangements que nous avons faits sur le CD, qui n’étaient pas forcément prévus…. Tout ça, permet d’avoir une autre vision et d’envisager d’autres manières de procéder. Même pendant l’enregistrement du CD, peut-être bien que nous avions déjà envie de changer des choses. La dernière fois que nous avons fait un module scène sur Clermont, au Tremplin avant même d’avoir fini de jouer, avec les remarques de Fred : on avait donc qu’une envie c’était de les mettre en application.
Amélie, j’apprécie beaucoup ta présence vocale et l’énergie que tu mets dans le disque. En tout cas, dès les premières mesures, c’est vraiment ce qui m’a frappé.
Les modèles féminins dans l’univers du rock ne sont pas si nombreux que ça ou un peu oubliés par l’histoire du Rock. En tout cas, quelles sont les femmes qui t’ont inspirée ?
Amelie : Patti Smith, mais pas juste en tant que musicienne, chanteuse, ……en tant que poète, pour ses engagements, pour ce qu’elle représente…… Janis Joplin, ce n’est pas pareil que Patti Smith, c’est son côté sauvage sur scène, le fait de voir une femme. Ce n’est pas que cela n’existe pas, mais il n’y a personne qui le fait comme Janis Joplin, la façon dont elle se lâche sur scène, ça me dépasse ! J’ai une mémoire horrible ! Tracy Chapman m’a beaucoup marquée par son humilité. Les femmes qui sont vraiment engagées, pas forcément dans le féminisme, je ne suis pas pour le féminisme, car pour moi, dès qu’on part dans les extrêmes, ce n’est pas bon…. J’ai découvert Patti Smith, tard, cela devait être en 2009/2010. Je suis tombée complètement dans son univers. J’ai lu des bouquins, son autobiographie « Just a kid ». Nous avons été la voir à l’Olympia. Je suis fan ! C’est la personne humaine que j’aime ce n’est pas juste musical. C’est comme avec Tracy Chapman, j’aime la personne. Je suis comme ça, si je découvre un truc humainement qui cloche je suis capable de ne plus écouter !
Du coup, par effet de miroir, Benjamin. Après être rentré dans la musique par la voix d’Amélie, je me suis laissé emporter par l’univers musicale que tu développes. Tu es un peu l’architecte sonore du groupe ; je ne sais pas si cette définition te convient ?
Benjamin : En effet, je m’occupe de tout ce qui est arrangements, cela peut être vraiment conséquent. J’ai énormément de place, pour exprimer mes envies, mais le truc, c’est que tout doit rester cohérent entre nous. Dès fois, Amélie apporte des idées d’arrangements. De mon côté, je suis plus technicien, je m’y connais plus dans les termes de musique, mais Amélie communique à sa manière. Mais par contre, ce n’est pas dans notre genre que je m’occupe de tout et qu’Amélie vient juste se poser dessus.
Amélie : Pour tout ce qui est construction autour de ces quelques accords bruts que je peux apporter, je n’ai que les mots, le chant, je ne suis pas musicienne.
Ah, oui tu dirais ça, Amélie ?
Benjamin: Ce n’est pas vrai, on est d’accord. Amélie est super instinctive. Et comme je te l’ai dit tout à l’heure, la seule expérience de groupe qu’elle ait eue, c’est Telegraph, enfin à peu de choses près. Tout ce qui est langage technique, communication entre musiciens, elle le fait à sa manière. Bien sûr, nous progressons et nous nous comprenons de mieux en mieux. Mais par contre, c’est sûr, qu’elle ne chantera jamais sur quelque chose, qui ne lui plaît pas. Il faut donc qu’il y ait une osmose au niveau de l’univers. Là, par exemple, j’avais fait des trucs….
Un peu ringue, c’est ça ? (Rire général)
Benjamin : Ecoute, en tout cas, qui moi me plaisaient bien ! Même si dans l’absolu, il y a plein de personnes, qui pourraient trouver ça bon : si cela ne lui va pas, on oublie direct ! C’est quelqu’un d’instinctif, elle ne chantera jamais sur quelque chose, qui ne la botte pas. Et en plus, cela se verrait tellement, que nous ne pourrions rien en faire. Effectivement, elle interviendra toujours dans la musique et c’est mieux comme ça ! Sinon elle se retrouverait à chanter sur des trucs de dingues. Au-delà du ringard, si tu me laisses carte blanche, cela peut aller un peu partout, dans tous les sens !
Tu veux dire qu’elle te freine à certains moments ?
Benjamin : Oui, il faut. Parce que ce n’est pas Benj et sa bande ! Si nous voulons vraiment bosser ensemble, mêler nos deux univers, il faut qu’elle me remette un peu les idées en place. (Rires)
Amélie : Et encore, moins qu’au début. Avant Benjamin, dans Telegraph, en tant que musicien, il était vraiment frustré parce que je n’étais pas encore ouverte, par exemple, à mettre une touche électro. Pour moi, c’était vade retro. C’était pécher. Le pad, les samples, le looper, on ne peut pas faire ça.
Benjamin : En même temps, je découvrais le looper : le temps de m’y faire, j’étais à la rue. J’ai revu des photos de scènes, avec le looper, j’étais un piquet pendant tout le concert. Frustré, parce que je ne pouvais pas tout me permettre scéniquement, et même au niveau des compos. Frustré le temps qu’on arrive à bien communiquer, le temps de faire un 50/50 de nos univers. Arriver à bien se comprendre déjà : qu’est-ce que cela veut dire faire de l’electro ? Qu’est-ce qu’elle aime vraiment ? Au début, je pensais que je ne pouvais mettre que des toms (rires), parce que Madame n’aime que les basses. Tu lui mets une caisse claire et une charley, elle te traite de sataniste (rires). Il a fallu du temps pour décoder : qu’est-ce qu’elle entend par du crincrin de bruits de vaisselle ? Par la guitare est au placard ? Pas forcément, des expressions utilisées dans le langage des musiciens !
Pour continuer avec toi, Benjamin, quelles seraient les images que tu aurais en tête, lorsque tu composes ou que tu joues sur scène, si tu en as ?
Benjamin : Alors ce ne sont pas des images, mais des sensations, cela vient d’ici. (Il montre son ventre). Amélie me procure la base, et à partir de là, cela sort. Si nous prenons l’exemple de la dernière compo, j’ai pris sa proposition, j’ai enregistré des pistes. Et ce n’est pas du tout ce que je voulais faire au départ, qui est sorti. Je lui ai dit, je te préviens. Et puis, en écoutant, cela nous a grave plu. Des fois, je peux être super méticuleux, en me disant là, je veux ça. Mais globalement, l’inspiration vient toujours assez rapidement. En tout cas, je la sens de plus en plus rapidement, et je cible comment je veux la faire sortir. Mais c’est donc surtout une envie intérieure : est ce que je veux que ce soit un cri, un truc costaud qui t’arrive en pleine face, ou un truc plus léger. C’est vraiment une question d’émotion.
Dans votre disque, je ressens une palette d’influences très large, qui pourrait d’ailleurs couvrir un spectre, de la musique la plus alternative à des esthétiques plus mainstream, mais avec un naturel tout à fait déconcertant, qui participe d’ailleurs grandement au charme de « Love is the key ». En inversant les rôles, qu’est que vous, vous allez chercher dans la musique des autres, justement ?
Amélie : L’intensité, juste l’intensité. Et quand je dis intensité, cela peut être une ballade, avec trois fois rien.
Benjamin : Cela pourrait être intensité, profondeur et sincérité.
Amélie : Ah, ouais, la sincérité. Moi, faut que ça me chope. Il faut que j’arrête de faire ce que je suis en train de faire. J’ai besoin qu’on me prenne par surprise, de sentir la sincérité. Même si c’est bancal et maladroit, ce n’est pas grave. J’ai vu des groupes, en live, c’est nickel, c’est beau mais ça ne me prend pas. Et par contre, j’ai vu d’autres groupes, franchement, c’est bancal, c’est pas calé, mais c’est animal, ils sortent d’eux-mêmes. J’ai besoin qu’ils sortent d’eux-mêmes !
Benjamin : Et vraiment de l’intensité dans la sincérité.
Amélie : En fait, c’est eux que je veux. Je ne veux pas d’un rôle, je veux leurs tripes.
Benjamin : Si tu prends l’exemple de Tracy Chapman, de la profondeur, de l’intensité, t’en as. Alors qu’elle va rester très posée. Elle ne va jamais envoyer un truc de « ouf », mais c’est cela qui est très impressionnant aussi. Elle, c’est sûr elle réunit les trois trucs et il n’y a pas qu’elle. Jeff Buckley, c’est une tuerie. Le mec, tu sens tout. Les trois trucs, chez lui, tu les ressens, un truc de malade. Avec une simplicité, enfin, on se comprend par simplicité, si tu veux essayer de le faire au chant (rires). C’est vraiment touchant. Je crois qu’on pense la même chose à ce niveau-là, même si nous ne les trouvons pas forcément au même endroit.
Amélie : Pas de mise en scène…ou alors, si il y a une mise en scène…. D’une voix commune, c’est à la Freddy Mercury
Benjamin : Le mec, il la vit vraiment. Tu sens que cela vient de lui, c’est comme si il extrapolait ce qu’il était.
Amélie : Et en plus, pas de doute, là il y en avait de la sincérité. Il caricaturait ce qu’il était. Mais il y avait de la vérité. Voilà, c’est ça pour moi, il ne faut pas avoir le cul entre deux chaises.
Quels sont les groupes et musiciens, qui vous réunissent, nous venons par exemple d’évoquer Jeff Buckley et a ontrario, quels sont ceux qui vous opposent ?
Amélie&Benjamin: Ah, oui ouh la la la….. (rire general).
Benjamin : Déjà, cela fait un petit moment que nous vivons ensemble, et nous avons dû faire des concessions, des compromis.
Amélie : J’ai appris à aimer certaines choses.
Benjamin : Chez moi, il y a la culture occidentale : Pop Rock, ska, reggae, du jazz…et après, il y a la culture « world », je vais beaucoup chercher dans cette direction. Et là, elle ne me suit pas partout !
Amélie : Sur le blues Touareg, je te suis mais….
Benjamin : Amélie, c’est comme d’hab, c’est sensitif. Pas une question de styles, mais plutôt d’interprétation. Je vais beaucoup fouiner là-dedans et il y a des trucs effectivement pas très accessibles. Par exemple, au début, la musique indienne, d’Inde du Nord, cela peut décontenancer. Je me rappelle que je ne tenais pas plus de 4 minutes. Donc je comprends carrément.
Amélie : Et en plus, quand Benjamin fait des découvertes, c’est un peu un toxico, il ne lâche pas. Je me souviens, je bossais et tous les midis quand je rentrais du boulot, il mettait des chants amérindiens de cérémonies de deuils. Il me mettait ça tous les jours, j’avais juste envie de me tirer une balle (rire general).
Benjamin : Elle rentre du taf, elle a une heure. Au début, je n’ai pas tilté. Mais à un moment, elle a craqué : « j’en ai marre de tes trucs ». Et j’ai pris soudain du recul : « ah, oui, je peux comprendre ». (rire)
Amélie : Là, où on est vraiment opposés c’est sur les musiques traditionnelles, difficilement accessibles parce qu’on ne fait pas partie de ces cultures, des fois c’est vraiment dur. Et puis, Benjamin, tu aimes beaucoup l’expérimental, et là j’ai du mal, je me perds Par contre, moi, de temps en temps, j’aime bien écouter Whitney Houston. (rire general)
Mais cela se ressent, sur votre disque, cette palette très large et avec le naturel qui est le vôtre, elle est en plus, très assumée !
Benjamin : Tu sais, tu nous demandais ce qui nous oppose. Il y a un truc, où je dois faire des efforts pour la comprendre, et je peux la comprendre. C’est Céline Dion.
Amélie : Non, non, non attends…Depuis que j’ai quitté le CM2, je ne suis plus du tout la discographie de Céline Dion. Je m’en fiche. Mais quand j’étais à l’école primaire, mes deux idoles, c’était Céline Dion et Whitney Houston, parce que la voix….Et après j’ai découvert Mariah Carey, et il y avait Edith Piaf aussi. C’était ces quatre-là, et les CDs tournaient en boucle. J’essayais d’imiter leurs voix. Je ne connaissais pas encore Janis Joplin (rire) .C’était pour le côté : c’était tellement dingue de pouvoir envoyer comme ça, vocalement. Après je n’ai plus suivi. Mais de temps en temps, c’est très rare dans l’année, en soirée, je me remets « j’irais où tu iras ». Ouais, y a un truc…. Là, je me sens seule (rire général) mais j’assume.
Je trouve que ces sujets-là, sont très français. Il y a une sorte d’emprise d’une forme d’intelligentsia culturelle et autorisée, qui fait que quand tu fais partie d’un groupe indé, il ne faut surtout pas avouer une attirance passée pour des icônes mainstream.
Benjamin : Ce n’est pas tellement le côté mainstream, parce que je pense que nous en écoutons et que nous l’assumons totalement. Après dans le mainstream, il y a des trucs qui déchirent
Amélie : Oui, on a tous été gamins. Céline Dion, ces derniers albums c’est juste pas possible !
Benjamin : Oui, je te taquine, je sais que ce que tu aimes chez C.Dion, c’est pour de bonnes raisons.
Amélie : Oui, c’est quelque chose qui m’a marquée. C’était énorme pour moi.
Une dernière question pour conclure. Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter après la sortie de « Love Is the Key » ?
Benjamin : Pouvoir vivre de notre musique, décemment et pouvoir la partager avec un maximum de personnes, ce serait top. Après tu te fixes des objectifs à long terme, plutôt inatteignables, histoire d’avoir toujours quelque chose à faire, c’est l’idée du truc. (Rire). Sinon tu es dégoûté, une fois que tu as fini.
Amélie : De toute façon, on ne s’arrêtera pas, on s’arrêtera jamais. Je ne me vois pas faire autre chose.
Benjamin : J’ai besoin d’une expression artistique, c’est primordial. En sachant, que l’art tu peux le mettre partout, cela dépend juste de la manière de faire les choses. J’ai besoin de ça, c’est tombé sur la musique, parce que c’est comme ça, et cela me va toujours. Mais tout ce qui peut se passer avec la musique, cela ne vaut rien, s’il n’y a pas l’essence. Si on n’arrive pas à se transcender sur scène, à communiquer ce qu’on veut vraiment, quelle que soit la manière, dont les gens la reçoivent d’ailleurs. S’il n’y a pas ça, cela ne vaut rien. Nous pourrions aller faire n’importe quoi d’autre. Sinon cela devient uniquement un métier, au sens péjoratif du mot métier. Si nous ne pouvons pas être nous-mêmes sur scène, cela ne vaut pas le coup…Dans mes références, artistiques et humaines, je pense à Mike Love, c’est un reggae man hawaïen. Il commence à faire des tournées européennes depuis deux ans. Ce mec, il pue l’amour à plein nez. Il fait vraiment les choses en accord avec lui-même. On a eu la chance de discuter avec lui. Je trouve ça génial la manière dont il fait son truc, en accord avec ses principes. Sa musique est en phase avec ce qu’il est. Et cela se sent sur scène.
Un grand merci à Amélie et Benjamin pour cette interview et bien sûr, tous les vœux artistiques de la team VoltBass, pour cette année qui se présente sous les meilleurs auspices, pour Telegraph. Restez comme vous êtes, on adore ça!