Au programme aujourd’hui, entretien avec le rappeur clermontois Ashéo. À l’occasion de la sortie de son troisième EP ce 8 avril et peu de temps après Bébé, nous sommes partis à sa rencontre pour lui poser quelques questions autour d’un café afin d’en savoir un peu plus sur son tout nouveau projet #DQTE.
Rencontre avec Ashéo à l’occasion de la sortie de #DQTE
Publié le 11 avril 2018
Salut Ashéo, pour commencer parle-nous un peu de ton parcours jusqu’ici.
Je viens d’Issoire et j’ai grandi dans une famille de musiciens. Mon père fait de la batterie et ma mère a fait du saxophone, de la clarinette et aujourd’hui elle chante. Rien de professionnel, mais j’ai évolué dans un univers où la musique était importante. Petit déjà, j’étais inscrit dans une école de musique et j’ai essayé plusieurs instruments (guitare, batterie..) mais sans trop persévérer.
J’ai commencé à écouter du rap en primaire, avec Mc Solaar et Manau. Au lycée je me suis plus tourné vers le punk-rock (The Offspring, Green Day, Sum 41…), c’était le délire de l’époque, on avait même commencé à monter un groupe avec des potes où je faisais de la guitare électrique, mais jamais rien de bien concret. Au lycée, mes fréquentations m’ont ramené vers le rap et j’ai redécouvert les classiques du genre NTM, Sniper, IAM. Puis j’ai commencé à en faire, écrire des textes dans mon coin sans trop les montrer.
J’ai atterri à Clermont pour mes études supérieures et c’est là que j’ai rencontré Melen Nomada, musicien « touche-à-tout » avec qui le feeling est passé direct. On a pris une coloc pendant un an : on faisait que du son, en mode piano, boîte à rythme, rap. C’est là que j’ai commencé à faire de l’impro. J’ai sorti dans la foulée mon premier EP (Lignes Directrices, 2012).C’est la première fois que j’écrivais des morceaux vraiment construits, qui me représentaient, d’où le titre d’ailleurs. Ensuite, j’ai vécu un an en Angleterre, je continuais à écrire un peu mais beaucoup moins.
Quand je suis revenu j’ai créé un premier groupe avec Netik, un rappeur parisien récemment arrivé sur Clermont: La Colok. On a sorti un petit projet en 2014 : La visite, mais le groupe n’a pas duré. C’est à partir de là que j’ai commencé à fréquenter les Open Mic et le milieu hip-hop de Clermont.J’ai rencontré Sweno, qui à l’époque faisait partie du collectif La Petite Ville. On a fait quelques morceaux ensemble, on a commencé à faire des concerts, puis on a officialisé ça en créant le groupe L’Épicerie. Mon frère Mathis (saxophoniste) a rejoint le groupe quelques mois plus tard. On a sorti un album (Libre, 2015) avec lequel on a fait plus de 50 dates en deux ans. En 2016, j’ai sorti un projet solo, même s’il ne l’est pas vraiment. Je parle de Soudés, un projet sur lequel j’ai réuni tous mes potes et toutes les connexions musicales que j’ai voulu immortaliser. J’ai aussi monté mon studio d’enregistrement, Alamaiz Records, dans lequel j’enregistre tous mes morceaux !
Tu reviens aujourd’hui avec un projet solo, #DQTE. C’est donc depuis peu que tu t’es remis à écrire des morceaux solos ?
Pas vraiment, parce que dans DQTE il y a des morceaux que j’ai commencé à écrire il y a deux ans. Je me suis retrouvé fin 2017 avec une trentaine de morceaux solos terminés, j’ai eu comme une prise de conscience, « Qu’est-ce que j’ai foutu pendant deux ans ? Pourquoi j’ai rien sorti ? » Je me suis dit qu’il fallait que je fasse les choses bien, en organisant les sorties de ces morceaux.
On retrouve une vraie cohérence entre les textes, tu as fait en sorte de les connecter ?
A fond ! En fait je les ai à peu près tous écrits pendant la même période. J’ai commencé à écrire les plus vieux il y a deux ans et le dernier que j’ai écrit c’est le feat avec Scryss, Ombre et Lumière, qui date d’il y a 6 mois environ. En fait ce projet représente la période durant laquelle j’essayais de comprendre qui j’étais, tant humainement que musicalement. Ces morceaux sont une réflexion sur moi-même finalement. Qui je suis dans la vie ? Qu’est-ce que j’ai envie d’être ? Qu’est-ce que j’ai envie de faire ? C’est pour ça que les textes sont tous reliés.
Donc tu écris au fil de tes pensées ?
J’écris ce que je vis au moment où j’écris ! Si on regarde tous mes projets, on voit bien l’évolution de ma pensée et de mon état d’esprit. J’ai écrit ce que je ressentais à ce moment. J’ai écrit une quinzaine de morceaux pendant cette période, tous se recoupaient plus ou moins, certains se ressemblaient même trop au niveau du thème, c’est pour ça que j’en ai gardé que 5 au final. En fait il y a deux ans je pensais déjà à ce projet. Mais à la base y’avait quinze morceaux dedans, c’était prévu pour être un album, il a même changé de noms plusieurs fois.
Tu n’as pas besoin d’un moment en particulier ou d’une certaine ambiance pour écrire ?
Ça dépend vraiment, au début je mettais très longtemps pour écrire mes morceaux, maintenant j’ai tendance à beaucoup réfléchir à ce que je vais dire avant de l’écrire et dès que je commence c’est hyper spontané, et du coup en quarante-cinq minutes j’écris un couplet. Je n’ai pas vraiment de mode de fonctionnement, des fois en soirée je suis avec des potes j’écris un freestyle ! Mais pour les textes plus réfléchis, j’ai quand même besoin d’être tout seul. Donc j’ai plus tendance à écrire seul oui.
Quelles sont tes inspirations, les sujets qui te font le plus écrire ?
Pour ce projet c’était vraiment une prise de conscience. Je me suis retrouvé dans une situation où il fallait que je prenne des décisions. J’en peux plus des études, qu’est-ce que je fais maintenant ? Est-ce que je dois travailler et faire de la musique à côté ? Qu’est-ce que je veux vraiment faire ? Qu’est-ce qui me fait vibrer ? Est-ce que je peux adopter un mode de vie routinier ? Aussi par rapport au regard des gens et de ma famille, je voulais montrer que je faisais quelque chose de concret. Donc voilà, #DQTE c’est vraiment le fruit d’un grand nombre de questionnements.
Comment se passe l’écriture lors des collaborations ?
Ca dépend vraiment. Il m’est déjà arrivé d’avoir un couplet et un refrain et de trouver que j’avais déjà tout dit sur le thème. Et je me dis « Tiens j’aimerais bien savoir comment untel aurait réfléchi à ce sujet ! ». Alors j’invite ce untel sur le morceau ! D’autres fois on est à plusieurs et on décide d’écrire sur tel ou tel sujet ensemble. La plupart du temps faire des morceaux avec quelqu’un c’est l’aboutissement d’une rencontre. C’est comme ça qu’est né Soudés en 2016, un EP avec que des featurings.
Sur le morceau La route du bonheur on retrouve en featuring Cabral et Doshka. La rencontre est assez surprenante, comment c’est arrivé ?
Déjà Cabral c’est mon pote de longue date, on s’est rencontré en première année de licence ! On a même un groupe ensemble ! (Jaz Manitu, avec Melen Nomada, Efef et Nohdja). Il a habité chez moi pendant plusieurs mois en 2016, on a vécu pas mal de trucs tous les deux et parallèlement on a écrit plusieurs morceaux. C’est dans cette période-là qu’on a écrit ce morceau, en tout cas nos deux couplets. Le thème est assez philosophique, la vision que chacun peut avoir du bonheur, qui peut être très subjective ! Après j’imaginais vraiment une voix féminine pour le refrain, mais je savais pas trop vers qui me tourner. Un jour on a fait un concert à Villeurbanne. A la fin du concert on fait un gros Open Mic, la serveuse de la salle dans laquelle on jouait monte sur scène, j’ai direct accroché avec son timbre de voix. Du coup je lui ai proposé de bosser avec moi sur ce morceau, elle est passée chez moi, on a enregistré et puis voilà au final ça tue !
Tu nous as parlé de ton studio déjà, est-ce-que le fait de l’avoir à disposition à la maison influence ton travail ?
Grave ! Ca encourage la spontanéité !! Dès que je commence à écrire un morceau, je peux directement tester de l’enregistrer. Je peux tenter un max de choses et me rendre compte directement de ce que ça rend. Par contre, je commence à toucher un peu en mixage, mais pour mes morceaux je passe toujours par Alchimiste (Alsonic Studio) pour tout ce qui est mixage et mastering.
Comment ça se passe pour le mixage, tu donnes des directives ou tu laisses faire ?
Je donne des directives. En général je suis avec lui au moment du mixage. Là pour l’EP j’ai été un peu chiant sur certains trucs j’avoue, mais c’est pour la bonne cause !
Sur #DQTE, on peut remarquer une évolution dans la voix et les instrus. Est-ce que tu voulais montrer ou dire quelque chose de différent sur ce projet ?
Y’a une évolution c’est clair, après ce n’était pas spécialement voulu. Je suis mon chemin de vie, j’ai évolué moi-même donc ma musique a évoluée aussi.
Au niveau des instrus on retrouve cette même cohérence qu’il y’a déjà dans les textes, c’est dû à quoi ?
C’est le même gars qui a produit tout le projet. Je cherchais des instrus, j’avais déjà commencé à écrire, je voulais des trucs cinématiques, lents, profonds. Je suis tombé sur ce gars, Tellingbeatzz, un beatmaker de Munich. J’avais flashé de ouf sur certaines prods qui étaient sur son site. Je l’ai contacté pour lui proposer le projet. Il était chaud et il m’a envoyé une dizaine de prods.
On est donc loin de la trap qu’on a l’habitude d’entendre sur les morceaux rap aujourd’hui, c’était voulu ?
Ouais carrément, je voulais un truc où les textes soient mis en avant, vu que c’est un EP à textes quand même. Après je n’étais pas forcement tourné vers quelque chose de musical à tout prix, là ça m’a parlé, c‘était une question d’énergie, j’ai vraiment ressenti quelque chose en écoutant ce gars, ça c’est fait au feeling ensuite.
Tu as écrit en fonction des instrus ou pas forcement du coup ?
Y’avait déjà des textes qui étaient prêts, et que j’ai un peu adapté et retravaillé pour que ça colle. Mais la plupart sont directement écrites sur les instrus.
Au niveau de ta voix, on retrouve quelque chose de très simple, y’a pas vraiment d’artifices ou d’ajouts c’est ton identité pure ? Comment tu en es arrivé là ?
Bah justement ça a pas toujours était comme ça. J’ai une tendance à vouloir faire beaucoup de techniques dans mon écriture, je kiffe les rythmiques, jouer avec le rythme et les syllabes. Mais je me suis rendu compte que souvent, les gens ne comprenaient pas tout ce que je disais, surtout les gens qui écoutent pas de rap. Là je me suis dit « Putain c’est dommage je passe grave du temps à bosser le fond de mes textes, si on ne me comprend pas ça n’a aucun sens ! ». J’ai pas envie de faire du rap que pour les rappeurs, c’est ce que je faisais avant. Après je continue à le faire des fois parce que c’est quand même mon gros problème, spontanément j’écris de manière technique. Mais ouais sur ce projet j’ai cherché quelque chose d’accessible pour tout le monde.
J’ai aussi remarqué des influences reggae dub, c’est le cas ?
On me dit ça souvent ! J’avoue que je kiffe le reggae, même si je n’en écoute pas spécialement. Ce n’est pas vraiment voulu, j’ai essayé des trucs plus chantés, ce que je ne faisais pas avant. Parce qu’avec les gens que je côtoie musicalement, je me tourne de plus en plus vers ça. Puis même dans le rap actuel y’a de plus en plus de gens qui chantent, j’ai voulu moi aussi tenté, j’ai grave kiffé donc naturellement, dans mon écriture, y’avait des passages faits pour être chantés.
Tu as un débit dense, des textes riches et des rimes complètes. Ça vient de tes inspirations premières dans les classiques du rap ?
C’est sans doute un défaut mais j’avoue que j’ai souvent tendance à trouver que quand j’écris un texte avec des rimes pauvres, c’est trop facile et pas assez travaillé. Alors que c’est pas tout le temps vrai ! J’écoute des gars qui ne font que des rimes pauvres et je kiffe de ouf ! Après j’ai aussi besoin qu’il y ait un sens dans ce que je dis, autre que « je suis le meilleur dans le rap » (même si bien sûr je le fais parfois parce que ça me fait marrer et parce que c’est le jeu du rap aussi). Je ne peux pas faire que ça sur un projet c’est pas possible pour moi, j’ai toujours cette obligation morale de réfléchir et dire des choses concrètes.
Tu vas nous proposer d’autres clips après celui de Deviens qui tu es, titre éponyme du projet ?
Je vais clipper pas mal de morceaux ouais. Je commence à connaître pas mal de gars qui touchent bien en clips, donc on va faire des trucs vraiment bien ! Le prochain morceau clipé sera le feat avec Scryss, qu’on a tourné avec hmwk., des potos de Clermont qui font un taf de ouf ! Pas longtemps après sortira le clip de Ma galaxie….
Des projets de scène pour bientôt ?
Yes, je compte faire des scènes pour défendre ce projet comme il se doit ! J’ai une première date à Paris pour le lancement d’une marque de vêtements, Biffin, le 13 Avril. Ensuite, je serai le 28 Avril à Nantes à l’Altercafé, pour ouvrir une soirée organisée par Le Fil Rouge.
Un album à venir peut-être ?
C’est pas un projet que j’ai en tête pour le moment… mais j’en ferais un un jour, c’est sûr ! Y’a moyen même que j’en fasse qu’un seul, un truc vraiment complet, quand j’aurais un niveau de maturité encore plus important. Je pense pas être au pic de ma maturité du tout là ! Je préfère les petits formats pour le moment, parce que ça représente une période. Et je t’avoue qu’après cet EP il y en aura surement un autre, relativement proche dans le temps.
Le mot de la fin ?