Le 8ème album de Shaka Ponk n’a pas de titre. Il se contente des initiales S.P. entrelacées en un symbole un peu ésotérique. Et d’une photo de pochette qui en résume l’esprit : radical, offensif, sans concession, non négociable. Un titre n’aurait rien ajouté, plutôt dilué. Ce disque refuse l’artifice, refuse de jouer le jeu des convenances, des connivences et des routines du divertissement. Ce sont dix chansons pour rompre le statu quo et redonner au rock son insolence, sa colère, sa liberté. Il a été écrit dans un moment particulier où tout est remis en question, où consommer, s’informer, s’exprimer, être gouverné, aimer et vivre sont reconsidérés à l’aune des crises multiples qui bouleversent notre quotidien. Ce n’est ni un manifeste, ni un pamphlet, pas même un bras d’honneur. C’est une réaction de survie. Voilà dix chansons qui se rebiffent, choisissent l’électrochoc à l’anesthésie, crient au scandale, hurlent à la vie, à la liberté et à l’espérance.
Shaka Ponk ne veut surtout pas être l’orchestre du Titanic qui continuait à jouer des airs lénifiants alors que le bateau sombrait. Il ne veut être ni complice du naufrage, ni indifférent à son inéluctabilité. Il n’entend pas se réfugier dans une quelconque dystopie pour tempérer son angoisse. Inutile de l’anticiper, le désastre est déjà là. Il est climatique, il est sanitaire, culturel, économique, démocratique et surtout humain. Il asphyxie, inonde, brûle, confine, pousse des milliers de gens dans la pauvreté et d’autres à risquer leurs vies sur des radeaux de fortune. « Le déni dans lequel on vit est l’une des raisons pour lesquelles on a fait Shaka Ponk au début explique Frah. Tout est fait pour ne rien remettre en question, pour ne pas penser. Quand la pandémie est arrivée il y a eu une cassure, une division, une perte de sens, une hystérie collective et médiatique. Le covid a ajouté une couche au mille feuilles des aberrations humaines. Ça nous a amené dans un endroit que l’on ne connaissait pas. On s’est retrouvé à ne plus parler que de ça. On n’écrivait plus de chanson, on ne faisait plus de musique, plus de vidéo, plus de scénographies. On est resté comme ça, sévèrement ébranlé, à discuter en boucle du fonctionnement de la société dans laquelle on vit et du déni qui l’autorise à s’effondrer chaque jour un peu plus. »
Comme l’écrit l’astrophysicien Aurélien Barreau dans un long texte accompagnant l’album : « la fin du monde pourrait n’être pas si triste. » C’est là tout l’inestimable paradoxe de cet album, et peut être du rock en tant qu’idiome privilégié de l’extrême, que de savoir s’énivrer du mal être, de tirer de la peur, de la douleur et de l’humiliation, un retour à des valeurs essentielles. C’est aussi de pouvoir faire de la colère, celle dont s’enflamment D’Essence, Alegria, 13 000 Heures ou Tout le Monde Danse, le ciment d’une fraternité.
Avec les succès que l’on sait : My Name Is Stain, Let’s Bang, Palabra Mi Amor,Picky, les albums The Geeks and The Jerkin’Socks en 2011, The White et The Black Pixel Ape en 2014, The Evol trois ans plus tard. Mais aussi les centaines de concerts accompagnés de leur vertigineuse pyrotechnie digitale qui ont fidélisés partout en Europe des milliers de fans de 7 à 77 ans.
C’est bien ce même alliage d’humanité et d’énergie qui répond encore aujourd’hui présent. Pourtant si c’est la même musique, haletante, renversante, que l’on entend, le degré d’urgence s’est accru, les idéaux ont mûri, les priorités ont changé. Bien que cet album soit le dernier, que la tournée The Lask Fucked Up Tour soit celle des adieux, Shaka Ponk ne rend pas les armes pour autant. Il entend les utiliser autrement, sur d’autres terrains que celui du spectacle.
« Au départ Shaka Ponk était un projet sans prétention auquel le public a donné toute son ampleur. Une parenthèse artistique décalée au milieu d’une société, sérieusement « dysfonctionnelle », fondée sur la consommation, l’exploitation des ressources de la planète sans jamais la nourrir en retour. Grâce au public, Shaka Ponk est devenu notre vie, et cette vie nous a nourri. Nous voulons maintenant la nourrir en retour.»