Une soirée très spéciale s’annonce à l’occasion du Disquaire Day le 21 avril au Fotomat’, où on retrouvera notamment Théophane Bertuit derrière les vinyles… On en a profité pour lui demander de nous parler plus en détails de ses nombreuses activités sonores et de son studio, Polyphone Records.
Polyphone Records : interview avec Théophane Bertuit
Publié le 16 avril 2018
Peux-tu nous présenter Polyphone Records et ce que tu y fais ?
Ça a commencé ici il y a trois ans, c’était le retour en Auvergne d’où je viens, j’ai été pendant 12 ans à Bruxelles et à Lille où j’ai monté un studio d’enregistrement. C’est donc un studio d’enregistrement au départ, mais là par exemple je vais avoir une pièce radiophonique de Alain Damasio qui va venir dans deux semaines avec des comédiens, on va faire du tournage en extérieur, du sound design, la musique, le montage, le mixage… Et là je suis en train de finir le mixage de Zaman Zaman en musique pure, et il y a aussi l’album de Koclair qui va arriver.
Et puis en parallèle il y a tout un pan de recherche sonore et d’expérimentation, c’est ce que je voulais faire en créant ce lieu, laisser de la place aux artistes pour qu’ils puissent faire de la recherche. Il y a peu de temps j’ai reçu Christine Groult de l’IRCAM, on a fait de la recherche, j’ai gravé des vinyles sur de la cire, c’était en lien avec une plasticienne donc pas vraiment musical mais plutôt sur le travail de la matière. Cette même semaine j’ai travaillé avec Raphael Maze sur des projections 16 mm qu’on a repassé sur bande, sur vinyle, là c’était un travail de recherche sur la saturation et la distorsion des supports, pour voir comment les supports trafiquent un son quelconque.
Et puis je fais de la post-production, je travaille sur des films d’animation, des documentaires… ça peut être de la voix off ou de la musique, du montage, du mixage… Je suis pianiste au départ, et sur un film d’animation j’ai fait toute la bande son, avec des frottements de cordes, ou alors du piano classique aussi pour un documentaire.
Tu as démarré ici avec une certaine expérience aussi…
Oui 12 ans de travail à Lille et pas mal de groupes ont suivi, j’ai fait du mixage à distance et je travaille toujours avec un label indépendant de rock garage, Tandori Records, où là je fais du mastering pour le vinyle.
Et tout ça c’est toujours en lien avec la résidence, le but c’est vraiment de laisser les gens prendre plus de temps, qu’ils aient le temps en vase clos de créer des choses, de rechercher, de se mettre en place, de réfléchir, d’écouter… Je travaille aussi sur un acousmonium, de la spatialisation à 14-15 haut-parleurs, qui peut se déplacer. Et la pièce radiophonique elle sera mixée en quadriphonie.
Et puis il y a la gravure de vinyles, que j’utilise vraiment pour des performances, je ne grave plus pour les particuliers. J’aime bien l’utiliser en tant qu’instrument. Ou pour tester des choses, en mixage par exemple je repasse souvent la batterie ou les guitares sur vinyle, je re-numérise après et ça donne une compression, un grain qui est particulier et qui s’insère bien dans le mixage numérique. Je fais ça sur bande aussi. Utiliser le numérique et l’analogique tout le temps en lien.
Est-ce que tu pourrais nous expliquer un peu ce que tu vas faire pendant la soirée du 21 avril ?
Il va y avoir trois phases : il y aura deux concerts, donc je pense que pour un des deux groupes je vais graver sur vinyle, un peu comme ce qui se faisait à la radio à l’époque des 78 tours, sans interagir avec eux, je vais imprimer quelques morceaux directement. Après il y a une phase où on va jouer avec le Free Burning Jazz et là je serai instrumentiste, je vais récupérer l’instrument qui m’intéresse (le saxophone, la batterie, la voix), je le grave, et en même temps je le lis, et suivant où je le lis sur le sillon que je choisis ça créé un délai et je change la vitesse, je déforme un peu les notes et leur réponds. Donc là il y a de l’improvisation. Et pour la fin j’ai des petits flexi discs où je peux mettre trois minutes sur chaque face, et en échange de 5€ les gens pourront faire graver ce qu’ils veulent. Les micros seront ouverts et chacun peut dire ce qu’il veut, ça peut être n’importe quoi, un message pour sa maman, un morceau… C’est comme les photomatons avec les parlophones, les gens rentraient dans une cabine, pouvaient dire un message et ça ressortait sur des cylindres ou des 78 tours, c’est un peu le même concept.
Et par la suite il y aura la sortie d’un disque qui compile des moments des soirées Free Burning Jazz ?
Finalement on va tout sortir, on va faire un coffret de 8 CD, y aura 8 concerts, j’enregistre tout en multipiste à chaque fois pour pouvoir mixer. Il y aura la prochaine soirée, celle du 4 mai et celle du 25 mai autour de mai 68, donc sur l’année on aura fait 8 concerts de jazz et d’expérimentations. On a essayé de choisir mais ça n’avait ni queue ni tête donc on s’est dit qu’on allait faire un CD pour chaque et mettre tout dans un coffret. Il y aura aussi le concert avec James Cammack qui sera en entier.
Il n’y avait peut-être rien à jeter aussi…
Oui et puis c’est des couleurs différentes, j’enregistre jamais de la même façon, c’est jamais mixé de la même façon, donc c’est bien de garder ces 8 moments au Fotomat’. Il y aura peut-être des redites sur certaines choses puisque ce sont souvent les mêmes musiciens qui se retrouvent, mais à chaque fois ils jouent différemment donc il y a de quoi faire. Ce sera sûrement pour la rentrée de septembre puisque du coup il faut mixer et masteriser 8 albums. Il y aura quand même une sélection puisqu’ils jouent des morceaux de 15 minutes, comme on va sortir des CD on sera limités à 74 ou 80 minutes donc on va quand même devoir en enlever puisque souvent ils jouent trois heures par soirée, mais on ne voulait pas couper dans les morceaux.
Pour revenir au studio, tu as aussi une petite salle de concert et les groupes peuvent travailler sur de la préparation scénique, ça fait partie d’un tout avec les résidences ?
Les résidences c’est souvent l’un ou l’autre, soit les groupes viennent pour faire du studio, pour enregistrer, ou alors ils viennent pour travailler leur son. C’est plus un bar mais qui permet d’avoir déjà un rapport au son de face. Quand Détroit est venu c’était dans cette pièce à ne faire que du travail de répétition. Et à la fin ils sont allés à la Coopérative de Mai pour envoyer le gros son et faire le travail de lumière, pour préparer leur tournée. C’était des nouveaux musiciens qui accompagnaient Bertrand Cantat, c’était pour mieux se connaitre, c’est un lieu bien pour la cohésion de groupe.
Donc c’est un outil de travail ?
Oui on en fait vraiment ce qu’on veut, on peut y faire des projections, il y a un animateur de film qui était venu pour travailler en atelier, pour faire de la prise de vue. C’est un plateau ouvert, pas forcément pour de la musique, et c’est de la résidence d’artistes au sens large, pour travailler, pour écrire…
Pour le cinéma, les jeux vidéo aussi tu fais ?
Oui je fais du game audio aussi, c’est surtout une activité d’enseignement en fait puisque je donne des cours à l’université de Vichy depuis cette année et ça doit se poursuivre, on va essayer de développer le module. Des cours d’intégration donc faire des sons en 5.1 et les intégrer dans la scène 3D. C’est plus du sound design que je fais sur le game audio. Je fais les interactions du son dans le jeu par rapport aux déplacements et la musique, pour qu’après le développeur les prenne et les place dans le jeu.
Le sound design c’est quand tu retravailles le son… ?
C’est un peu vague le sound design mais soit c’est de la création sonore pure, on part d’un ordinateur ou d’un synthétiseur et on créé, donc on part de sons qu’on fabrique, soit on part d’enregistrements réels, qu’on tord et qu’on met dans l’ambiance qu’on veut après. Et on peut aussi faire du sound design pour les albums, comme pour l’album de Koclair, il y aura sûrement du sound design entre les morceaux pour les lier.
J’aurais voulu revenir un peu sur les expérimentations, tu as notamment évoqué le travail sur la cire, c’est quelque chose que tu trouves un peu le temps de faire ?
Et même que j’aimerais faire plus, qui prendrait le pas sur le reste, c’est là où c’est intéressant d’avoir un lieu comme ça, pour des plasticiens, des compositeurs… c’est un matériel que peu de studios ont, on est une dizaine en France à faire de la gravure à l’unité comme ça, mais en fait il y en a peu qui l’utilisent dans un cadre de studio d’enregistrement.
Et donc là c’est encore en cours avec Christine Groult, c’était une première phase mais ce qu’on voulait savoir c’était ce que générait la gravure sur la cire, sans envoyer de son, juste le silence. Quand on grave un silence sur un vinyle on n’a qu’un tout petit bruit de fond, quelques craquements, mais la musique est au-dessus. Alors que la cire ça ramène vraiment une matière granulaire, donc il faut composer avec…
J’aime bien travailler avec différents supports, comme ce que je fais avec Raphael Maze, on essaye de les pousser jusqu’au bout au lieu de les utiliser juste pour fixer quelque chose. Voir ce que le support peut nous rajouter, au lieu d’utiliser des plugins, des fois juste un passage sur vinyle ça fait la compression, la réverb… avec ce petit côté aléatoire du support puisque je chauffe le vinyle à 50 degrés mais des fois il est à 48, 52, 55… ça bouge un peu, et c’est un phare de chantier que je mets dessus, c’est artisanal, donc suivant la température ça ne va pas graver les aigus de la même manière, pas les basses… C’est intéressant parce qu’on ne contrôle plus trop, alors que maintenant le studio c’est quand même le sur-contrôle, surtout en numérique, là on ne peut pas tout gérer. Et ça fait du bien aussi, ça fait du bien aux musiciens, qui se rendent compte que c’est bien à eux d’envoyer, et nous on grave, on mixe… mais c’est le musicien d’abord !
Et donc quand tu mets en route pour graver tu dois chauffer avec le phare ?
Oui je le mets deux heures avant, il faut que l’ensemble soit un peu chaud et que le vinyle soit vraiment très chaud. Après j’envoie du son dans deux petites enceintes qui font vibrer le diamant et puis je burine. Il y a des copeaux qui partent, donc il y a un aspirateur qui tourne, le phare de chantier… et ça pollue un peu le son autour, c’est là que c’est compliqué en concert. Par exemple quand ça grave du silence, si tu t’approches du diamant et que tu cries, ça va être gravé, ça va faire vibrer le diamant. Les vinyles que je vais graver pour la soirée c’est plus pour la performance, c’est pour ça aussi que j’enregistre en numérique à côté pour pouvoir en re-graver des propres en studio, parce que je vais être beaucoup pollué par l’environnement sonore de la salle.
Donc quand tu graves avec la machine pendant une performance c’est surtout pour jouer, et pour l’enregistrement c’est plus ce que tu as pris en numérique ?
Oui c’est pour ça que je fais toujours des copies numériques à côté, parce que ce que je vais graver par exemple pour Sebastockholm, ce sera un mixage de live, pas un mix comme on peut faire en studio où on compresse comme il faut, on équalise… là ce sera un peu brut.
Pour revenir sur le studio et pour terminer, est-ce que n’importe quel groupe peut faire une demande de résidence ici, indépendamment de son expérience ?
Oui, je ne demande pas de pré maquette, le mieux c’est de me contacter, mes coordonnées sont sur le site, et surtout de venir voir le lieu, l’important est que le groupe s’y sente bien.
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