Naouack Part 1

Publié le 1 juin 2018

Interviews

Quelques jours avant la sortie de leur premier album « Trop bien mais trop court », les Naouack, un des groupes de rap phare de la scène auvergnate, représenté par Mr Vin’s et Mc Yacé me fait le plaisir de m’accueillir chez l’un d’entre eux, devant un bon thé.

L’exercice placé sans vraiment le faire exprès un jour férié, qui plus est en début de journée, (plutôt difficile après une courte nuit de sommeil et quelques bornes en bagnole !), eut l’avantage de placer l’instant dans l’énergie du réveil : moment propice, sans retenue et en toute décontraction, pour parler musique, militantisme et ambition pour un groupe qui risque de faire gravement parler de lui dans les mois qui viennent !

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Salut les Naouack ! Grosse actu en ce moment, pour vous : avec la sortie de votre premier album et toute une série de concerts qui vont avec ! Comment vous vous sentez ?

Naouack

Mc Yacé : Salut, en pleine forme.

Mr Vin’s : Oui, en plein forme. Ah, on est bien Tintin ! (rires)

Mc Yacé : On enchaine beaucoup de résidences, ça tire un peu mais c’est pour que le spectacle soit bien, du coup c’est de la bonne fatigue.

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Un premier concert déjà à Paris, justement, il y a quelques jours.

Naouack

Mc Yacé : Exactement, au Zèbre, dans un cadre …..le plus petit cabaret d’Europe, c’est marqué en gros tout là-haut. On s’est régalé. Un plafond un peu haut, pour notre lighteux, cela n’a pas été Byzance, puisqu’il nous voyait difficilement lorsqu’on était au raz de la scène. Mais tout s’est bien passé, le son était bien équilibré. Une soixantaine de personnes qui est venu, malgré les tarifs prohibitifs parisiens, j’ai envie de dire ( rires). On est content. Et on a pu tester à nouveau notre show, avec Dooz Kawa, ce week-end au 109, à Montlucon.

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Plus largement, cela fait combien de temps que vous travaillez sur cet album ?

Naouack

Mr Vin’s : Cela fait un an et demi, à peu près. Oui, c’est ça, nous avons attaqué vraiment sérieusement il y a un an et demi, pour finalement aboutir il y a à peine un mois. Et du coup, il y a toutes les résidences pour monter le nouveau spectacle. Parce que forcément en parallèle, c’est la double peine, faut préparer l’album, mais quand il sort, c’est quand même bien d’avoir un nouveau live aussi (rires). Cela fait du bien de pouvoir passer à quelque chose de neuf et de pouvoir proposer quelque de nouveau, pour nous comme pour le public, c’est important.

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Peut-être un peu d’appréhension justement : une première date, nouvel album, nouveaux morceaux. Comment ça a marché sur scène alors ?

Naouack

Mc Yacé : Et attaquer par Paris ! (rires)

Mr Vin’s : c’est toujours un peu difficile. Il y a toujours le stress de la première, du nouveau spectacle. Tu arrives, tu ne sais pas quelles vont être les réactions du public : comment il va réagir à ce que tu lui proposes. Est-ce que nous avons pensé en amont est juste ? Est-ce qu’on s’est planté ? C’est vrai, que c’était un peu difficile d’un point de vue psychologique avant d’attaquer. Mais cela s’est bien passé !

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J’ai eu la chance de pouvoir écouter votre album depuis quelques semaines. Je dois avouer que j’ai été surpris à plusieurs niveaux, et plus généralement, par l’ambition que vous affichez avec ce disque. On voit que vous avez mis les moyens, que ce soit dans l’écriture, dans les compos, et même dans la qualité du son…. Est-ce que c’était un challenge pour vous de montrer, que vous êtes certes un groupe de scène mais que vous pouvez aussi gravement kiffer l’exercice du studio ?

Naouack

Mc Yacé : C’était le challenge. On a tourné à fond pendant cinq ans, avec 240 dates. Mais par contre, on avait un son studio, qui n’était pas à la hauteur de ce qu’on défendait en live. C’était vraiment la marche que l’on voulait monter, même s’il en reste encore beaucoup à gravir, parce qu’on est encore en bas de l’escalier et on n’est pas prêt de s’arrêter. On n’a finalement jamais trouvé les personnes qu’il fallait, alors on s’est équipé, en particulier Wizz (le beatmaker du groupe). On a essayé de faire au mieux avec le temps imparti, qui a été raccourci au fur et à mesure. Un peu de retard sur les textes, avec un peu plus moi et Vin’s sur les textes, car nous tenons à avoir un discours commun, il y a un retour des deux autres (Ndr : Wizz et Maître Gume, l’ingénieur du son de Naouack et complice de toujours, qui a d’ailleurs composé l’instru du morceau « La croisière s’amuse »). Il y a d’ailleurs encore quelques morceaux avec Wizz au micro, quand il le sent, il vient faire le troisième perturbateur, comme nous l’avons fait beaucoup plus précédemment. Mais là, il est un moins présent à ce niveau-là, pour avoir plus de temps à se consacrer aux machines et à une vraie musicalité du pad électro pour le live. Mais oui, si la marche que nous cherchons à gravir, tu l’as entendu sur le disque, c’est que nous sommes dans la bonne direction ! (Rires)

Mr Vin’s : Je crois aussi que c’est la première fois, que nous avons essayé de penser vraiment l’album et les morceaux comme des morceaux studio. Avant on avait souvent tendance à écrire des morceaux, en pensant à comment ils pourraient rendre en live, et à les adapter ensuite sur disque. Et là, on a essayé de faire le travail en sens inverse : on fait d’abord un album. Pour ce qui est du live, on se débrouillera.

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Du coup, Yacé tu commençais à l’évoquer, les rôles sont plutôt répartis au sein de Naouack : il y a un peu des espaces pour chacun, mais que chacun peut aussi apporter son regard sur leur domaine privilégié de l’autre. Est-ce qu’on pourrait prendre un exemple, de la façon dont s’est créée un morceau de ce nouvel album ? Est-ce que s’est parti d’un beat ? D’un texte ?

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Mr Vin’s : Souvent c’est parti d’une instru, même parfois d’une ébauche d’instru. Du coup, c’est Wizz qui s’occupe de ça. Il pouvait nous proposer un truc : « ouais, ça nous plaît, fonce ! ». Une base, avec tant de Bpm ! On se retrouvait avec Yacé, pour écrire, en fonction d’une thématique, qui en général, était choisie avec tout le monde.

Mc Yacé : On a même fait ensemble une liste de thématiques : et nous avons rayé celles qui nous correspondaient pas, qui ne plaisait pas à l’un ou à l’autre. Mais chaque morceau a un peu son histoire : moi par exemple, je ne bois plus, alors « Mise en bière » cela me concernait moins mais à la fois, c’est une ambition perso, parce que je joue le rôle de coach pour les ramener. Car quitte à ne pas boire, c’est moi qui fait le bus. (Rires) Mais on ne jette jamais rien, faut recycler.

Mr Vin’s : On se retrouvait essentiellement tous les deux pour l’écriture, en mettant nos idées en commun. Après faire le tri dans ce qui a été fait, mais par contre, nous n’étions pas du tout dans la démarche : « tiens c’est moi qui l’ai écrit, c’est moi qui le chante ! ». On s’est toujours dit, ça on s’en fout ! Peut importe qui a écrit quoi ! Après on voit ce qui est intéressant dans les échanges entre les voix, et comment on se répartit les passages dans le morceau.

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Ce que je ressens du coup, c’est qu’à la différence de certains groupes, où un leader s’impose, vous êtes à l’opposé un groupe démocratique (rires) !

Naouack

Mr Vin’s : Ouais, est ce qu’on peut nous appeler démocratique ou anarchique ? Je ne sais pas. (Rires)
Mc Yacé : Argumenter ! Si tu as la bonne idée, il faut savoir l’argumenter auprès des autres, pour que tout le monde se retrouve dedans. Mais notre idée, est que chacun d’entre nous soit porteur du groupe de la même façon : on monte tous ensemble sur scène, on est tous derrière l’album. Sinon ce serait Mr Vin’s et le Naouack crew, pour ne donner qu’un exemple. Comme ça se cultive de plus en plus dans le rap, d’attaquer en groupe et de finir en solo ! Nous c’est plutôt des identités fortes qui se distinguaient sur chacun des EPs, et là, nous avons vraiment voulu être ensemble, et défendre le meilleur album commun possible.

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Le rap, quoi qu’en pensent certains, n’appartient à personne, et encore moins à une communauté, à une population en particulier, et même si je sens qu’intrinsèquement vous êtes un groupe de rap, je vous situe aussi dans une filiation de la scène alternative française ! Quelque part entre Java et Lofofora ? Entre Svinkels et Zebda ? Soviet Suprem et Oneyed Jack ?

Naouack

Mr Vin’s : Cela nous correspond assez. Les influences sont assez éclectiques. Tout ce que tu as cité, ça résume assez bien le tout. Que ce soit du rock’n’roll, du rap, en passant par autre chose….
Mc Yacé : de la chanson, des choses festives parfois……
Mr Vin’s : Mais on a envie de faire du rap à notre sauce, et pas envie de se dire que le rap est la musique à la mode ente guillemet, et qui a le plus explosé ces derniers temps. Mais ce n’est pas parce qu’il y a certains codes qui sont inscrits et qui marchent, qu’on doit faire ce qui se fait. Nous, on veut faire ce qu’on a envie de faire. On est là pour se faire plaisir, et si le plaisir est partagé avec le public, tant mieux, c’est le but aussi. Mais on n’est pas là pour mettre du vocoder parce que ça marche, on s’en branle !

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Je retrouve aussi dans vos textes, dans votre musique, du punk, de la chanson engagée….

Naouack

Mc Yacé : Ça manque ! Nous trouvons qu’il y a vraiment un manque……(Il réfléchit) Ceux qui nous ont connu avec un côté drôlement festif ou militant souriant, pour toujours amener du sourire aux gens, ça on y tient parce que justement l’égo-dérision manque cruellement au rap, et pourtant nous en sommes de fervents défenseurs ! Mais au délà de ça, le rap c’est quand même un cri de contestation. D’où deux ou trois textes comme celui de « Une pause », sur l’abus de l’homme : bosser la nuit, les dimanches, le jour et quand on aura crevé, on nous remplacera par des machines, pour mieux nous oublier derrière ou encore celui de « Loto Papers », alors qu’on vient emmerder les intermittents, les chômeurs, pourquoi ne pas ramasser tous ceux qui nous enfilent, qui sont bien plus hauts que nous, et qui partent avec la cagnotte. La France devrait être une exception à ce niveau-là, mais en France, qui dans le rap, qui défend ces valeurs ? On est des fans d’Assassin, on a pu jouer avec eux, l’année dernière à Loir’En Zic dans le 43, on a pu jouer avec Le Peuple de l’Herbe, on a croisé les gens de la Phaze, qui ont de vraies convictions, Keny Arkana, qui s’est peut-être un peu adoucie, mais pour qui il y a toujours un vrai militantisme. Tu parlais de Zebda avec les motivés, le Tactikcollectif. Voilà. De notre côté, nous serons scène de migrants, à Clermont-Ferrand, en octobre prochain, à la maison de l’Oradou. Cela nous tient à cœur parce qu’il y a beaucoup de gens qui s’assoient sur les droits sociaux, sur les droits de l’homme. Le rap a toujours été là pour contester, mais là, sur la nouvelle vague ? A part des Dooz Kawa, ou Hippocampe Fou, sur certains textes de son dernier album. Nous voulons être de cette partie-là, parce qu’il y a des choses à pas oublier et d’autres à remettre à leur place. Nous sommes là, pour parler à toutes les générations, et au plus grand nombre : c’est un vrai choix, car la marginalisation du rap pour les 15-25 ans, ce n’est vraiment pas notre but.

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Je suis très content d’entendre que cette dimension militante du rap, vous tienne autant à cœur, et qu’elle puisse d’ailleurs rejoindre des objets qui sont ceux du punk ou du métal avec Lofofora !

Naouack

Mr Vin’s : Le rap, je le vois aussi un peu comme une évolution du mouvement punk, au moment des années 90, où le punk était un peu passé et le rap est arrivé, a pris ce relais, qui venait d’un autre côté, mais le rap venait aussi des quartiers populaires. Pour moi, le rap est quelque part une continuité du mouvement punk, la forme est évidemment différente mais ce sont des mouvements assez similaires à la base.

Mc Yacé : J’appuie Mr Vin’s là-dessus : parmi les premiers lieux à avoir ouvert leurs portes au rap, il y a les squats punks. Cette ouverture au rap, a été possible aussi dans ces lieux-là. Certains l’ont un peu trop oublié. Le Raymond Bar, à Clermont, non ! Toujours autant de soirées hip-hop, que punk, ou métal, autant d’influences qui sont présentes à Clermont …Nous défendons une vraie ouverture d’esprit qui rejoint notre vision du militantisme, mais la forme qu’on lui donne, n’est pas super rentre-dedans. On pourrait prendre la grosse voix de Reuno de Lofo (il imite Reuno= rires), mais on peut rire de tout. Nous sommes aussi de la génération Desproges. Après c’est la façon dont on l’amène, et on essaie de la soigner au niveau des textes.

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Je trouve que vous n’avez pas perdu sur cet album votre côté branleur et rigolo qui a fait aussi votre réputation, mais je prends cet album comme une sorte de manifeste à laisser les gens vivre comme ils en ont envie, avec même un peu côté anar ?

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Mc Yacé : Je ne sais pas si on pourrait se dire anarchiste : on défend des droits sociaux, qui malheureusement se perdent petit à petit. C’est comme une grenouille qui cuit dans de l’eau tiède, et qui monte petit à petit en températures : tout va bien tant que les gens ont leurs petits conforts. Mais nous aussi, on fait partie des 90% des français à avoir des fins de mois difficiles. Quelqu’un qui a de l’argent, et qui l’utilise à bon escient, qui paie ses impôts, tant mieux. La réussite, on la souhaite à tout le monde. Mais après cacher cet argent, pour ne pas assumer son rôle dans la société. Partir planquer des sous à l’étranger en profitant du public français, et on en connaît un paquet, là non ce n’est pas possible. Les écarts sont juste de plus en plus en grands, je vais parler un peu technique, mais le dernier rapport Oxfam montre que la France est le pays qui donne le plus aux actionnaires et le moins aux ouvriers (Ndr paru à la mi-mai, le rapport Oxfam atteste que depuis 2009, les entreprises du CAC 40 ont reversé plus de deux tiers de leurs bénéfices à leurs actionnaires). Quelque part, pourquoi ? On est le pays des droits de l’homme. Mais on les bafoue chaque jour, un peu plus. Voilà, c’est un petit ras le bol, mais on peut parler de ça en concert ou sur album, avec un petit sourire en coin. Parce qu’il faut en être conscient et le combattre au quotidien, mais ce n’est pas pour autant que l’on va brandir les armes pour un oui ou pour un non, comme de l’autre côté de l’Atlantique, où ils vont armer les profs très bientôt. En France, j’espère que le plus longtemps possible, on va défendre l’humain. Discuter et débattre pour avancer. La musique est faite pour ça aussi.

Mr Vin’s : Tu soulèves le côté anar, je ne sais pas. Le côté libertaire, peut-être plus. Si tu acceptes que chacun puisse vivre comme il veut, sans être en permanence en train de regarder comment vit ton voisin, de l’envier, le monde s’en sortirait vachement mieux. C’est normal qu’il y ait des gens riches et d’autres moins riches, ce n’est pas normal qu’il y ait des gens très riches et d’autres très pauvres. C’est un peu de l’utopie, mais si on n’a pas d’utopie, pas de rêves, alors autant se mettre une balle dans la tête (rires).

Mc Yacé : Le plus tard étant le mieux, nous, on est là pour retarder cette échéance ! (Rires)

Fin de la première partie de l’interview de Mr Vin’s et Mc Yacé, et une deuxième partie à venir dans quelques jours. En attendant rendez-vous à la coopé le 1er juin pour une release party d’anthologie.

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