Christophe Siébert & Le Fotomat’

Publié le 14 octobre 2019

Interviews

Les 17, 18 et 19 octobre, le Fotomat’ ouvrira ses portes sur trois soirées hors du commun entre improvisation, performance et création. L’occasion d’une rencontre avec Julien Biesse, maître des lieux, et Christophe Siébert, écrivain autour de qui s’est construite la soirée du 19.

Voltbass

Pouvez-vous nous parler des soirées qui arrivent au Fotomat’, et notamment de celle du 19 avec Christophe ?

Julien

La soirée Gang Bang au Fotomat’ le 19 octobre, c’est une soirée qui s’est construite au fil des rencontres et donc de la rencontre avec Christophe cet été. J’avais envie de préparer une soirée autour de textes, d’auteurs contemporains, mettre en avant un travail d’éditeur. Christophe catalysait un peu ça en étant au Diable Vauvert, éditeur qui prend des risques et fait des choses intéressantes, et Christophe du coup qui écrit depuis 15-20 ans déjà, qui a une écriture assez marquée et très risquée, le genre de choses qu’on ne lit plus trop aujourd’hui. On a commencé à construire une soirée autour de ça, on a greffé à la soirée 6 acteurs qui vont prendre en charge les textes de Christophe et des textes d’auteurs contemporains comme Maud Ourpene, Appoline Andrieu, Luna Beretta, on va mettre en avant aussi des textes d’un fanzine qui s’appelle Violences. Et à la soirée se sont rajoutés des plasticiens, il y aura une installation vidéo avec Lucas Falchero et Marc Brunier Mestas pour le travail plastique et la gravure, et il y aura aussi un danseur qui sera la matière corporelle et pourra improviser au milieu des performances, ainsi que le photographe Jacob Khrist. Et en liant de la soirée, pour la structurer un peu, même si tout est organisé autour des textes on a le parti pris de faire venir quatre musiciens qui sont à l’aise avec l’improvisation, et qui ont déjà fait les soirées Free Burning Jazz du Fotomat’ : Josselin Hazard à la batterie, Antoine Bacherot au clavier, Gaspard Baradel au saxophone et Théophane Bertuit avec son piano « Svestito », un piano complètement bricolé, désossé et reconstruit sur lequel ont été ajoutés plein de systèmes de percussions, des cordes de harpe… qui va emmener  une matière sonore plus organique, plus souterraine, et qui va vraiment mettre en valeur la dimension sémiotique. Ce qui m’intéresse dans la manière dont on va enrober les textes c’est la manière dont on va casser un peu la sémantique et venir l’enrichir, la perdre, la contrarier… pour générer une émotion plus facile et partir dans toute cette dimension pulsionnelle et rythmique. J’ai demandé aux acteurs de vraiment penser le texte comme de la matière sonore, on n’est pas dans une lecture linéaire, même si on part au début d’un roman de Christophe et de textes de Luna on va essayer de travailler la dimension organique de tous ces textes.

Christophe

Et puis c’est intéressant aussi de voir comment des textes qui ne sont pas écrits pour la scène au départ peuvent être appropriés par des gens qui les découvrent.

Julien

Oui là c’est un travail qui est fait quasiment sans répétition, on convoque sur un plateau une petite vingtaine d’artistes, performers, créateurs… entre ceux qui ont écrit, ceux qui vont venir porter les textes avec leurs voix, ceux qui vont venir les enrober avec de la musique et ceux qui ont participé à la plastique de la soirée avec l’installation vidéo et les gravures. Et donc il y aura une part d’aléatoire et d’improvisation qui fait écho à la musique. C’est des soirées comme on a déjà fait au Fotomat’ autour de l’écriture, ce qu’on appelait Potlatch, une espèce de grand rituel fédéré par une vingtaine d’artistes. Là on a appelé ça Gang Bang mais ça n’est pas une soirée qui va être spécialement érotique, c’est plutôt une espèce de Gang Bang d’écritures, de créateurs, de créatures… dans une énergie un peu folle et avec une utilisation du texte non plus comme cœur de la soirée, j’imagine plutôt les acteurs intervenir dans la musique comme un chorus, comme un solo, comme un musicien qui vient rajouter un solo dans un morceau de jazz. C’est plus comme ça que j’essaye de positionner le texte dans la soirée, ce qui est une manière de désarticuler ou repenser complètement l’harmonie qu’on peut avoir entre un texte et la musique.  Pour moi l’acteur est un musicien qui vient improviser un bout de son texte au milieu des autres en leur imposant un rythme, et ces autres musiciens vont l’écouter et réagir, ce qui imposera une évolution dans la rythmique.

Christophe

L’idée c’était aussi de multiplier au maximum les supports possibles : du texte, de la musique, de l’art plastique, de la performance, pour avoir une soirée hybride, bien riche…

Julien

Et c’est sûrement une soirée qui sera amenée à se reproduire peut-être sous un format plus politique, fin novembre, avec là aussi invitation d’un auteur autour duquel on va fédérer une équipe pour les circonstances, et puis après on improvisera sur qui intervient sur quoi. Et peut-être aussi au printemps prochain, on réfléchit à faire 2 ou 3 rendez-vous annuels comme ça pour mettre en avant l’écriture contemporaine et les auteurs contemporains avec une équipe de musiciens, plasticiens… qui ne sera jamais la même. Et à terme pouvoir éditer quelque chose. Au départ l’idée c’était de travailler avec tout un maillage d’auteurs locaux, et puis la rencontre avec Christophe m’a fait accélérer les choses pour mettre en place cette soirée, donc finalement on a resserré autour de quelques auteurs.

Christophe

Je voulais essayer de repérer les personnes qui écrivent dans la région et des gens ont répondu mais aucun de Clermont-Ferrand, alors je ne sais pas si ils n’existent pas ou si ils ne se manifestent pas mais si ils existent ça serait bien d’aller les débusquer. Il y a plein de plasticiens, plein de musiciens, plein d’organisateurs dans le coin mais des auteurs j’ai vraiment du mal à en trouver.

Voltbass

Du coup le roman duquel tout part, c’est Nuit Noire ?

Christophe

Les deux romans de Métaphysique de la Viande, les deux seront présents sur la soirée même si en général Nuit Noire est plus marquant pour le lecteur que Paranoïa, mais les deux seront bien représentés. Celui-là c’est le premier chez un gros éditeur mais avant j’ai fait paraître chez des micro-éditeurs des poésies, des nouvelles, des romans… Même celui-là c’est une réédition, au Diable ça faisait longtemps qu’on suivait mon travail et là les circonstances ont fait qu’on voulait vraiment signer et travailler ensemble sur le long terme, et donc l’idée c’était de rééditer celui-là aussi pour faire une sorte de carte de visite. Et il a eu un prix, le prix Sade, ça fait plus de 15 ans que le prix existe, il a récompensé des gens comme Dennis Cooper ou Raphaël Eymery, et même si il n’est pas trop connu du grand public c’est un prix qui récompense des bouquins qui ont un certain mordant donc je suis très fier de l’avoir eu. Donc la soirée part sur deux corpus, d’une part Métaphysique de la Viande et d’autre part sur des textes de Luna Beretta, ce qu’elle a fait en tant qu’éditrice dans son fanzine.

Voltbass

Comment vous avez mis ça en place avec Luna Beretta ?

Christophe

Comme Julien a contacté des acteurs assez rapidement, pour nous l’intérêt c’était de ne pas du tout intervenir et laisser les comédiens faire ce qu’ils veulent, choisir les portions qui les intéressent, et moi pour l’instant je n’ai vu aucune répétition du coup je vais découvrir quasiment en même temps que les spectateurs. On a fait une sélection d’extraits très large et après les comédiens ont lu tout ça et ont lu le bouquin en intégralité, parcouru le fanzine Violences et ont extrait les passages qui les intéressaient.

Voltbass

Et donc tu disais que ce ne sont pas forcément des textes prévus pour la scène ?

Christophe

Oui, quand j’ai commencé à écrire je n’avais ni éditeur ni lecteurs, Nuit Noire je l’ai écrit en 2009 et du coup je l’ai beaucoup testé sur scène, c’est un bouquin que j’ai retravaillé en fonction des réactions des gens, la scène c’est une bonne école pour ça. De manière générale dès qu’il y a un rapport direct avec le public tu peux voir si ça marche ou si ça ne marche pas, parce que la littérature c’est quand même d’abord une visée efficace, si les gens ne veulent pas tourner la page c’est raté. Et maintenant mon rôle d’éditeur consiste aussi à rappeler ça aux auteurs de façon inlassable, garder le lecteur, le prendre par le col et ne jamais le lâcher.

Voltbass

D’où l’intérêt de lier ça à de l’improvisation ?

Christophe

Oui et comme dans l’écriture je travaille beaucoup le rythme, et d’ailleurs Luna Beretta aussi est bien sur la rythmique de la phrase, ça va être intéressant de voir des gens qu’on ne connait pas s’approprier ces rythmes-là très précis, voir comment ils vont les casser, qu’est-ce qu’ils vont en faire, ça c’est passionnant. Surtout que c’est des gens dont c’est le métier de lire des choses sur scène. Nous on arrive vraiment en spectateurs, nos textes seront au centre mais nous on sera devant comme les autres. C’est la première fois que je vais voir mes textes lus par d’autres gens, par des comédiens.

Voltbass

Et du coup le fait de te retrouver côté public va peut-être venir travailler sur ce qu’il se passe quand tu écris aussi…

Christophe

En fait ce texte n’en finit pas d’avoir des vies et des incarnations, d’évoluer et de faire sa vie depuis dix ans, ça doit être sa quatrième incarnation sur scène, et oui ça va sûrement m’interroger sur ma manière de construire une phrase de voir comment les gens se l’approprient. Je vais plus ou moins voir ce qu’il se passe dans la tête d’un lecteur.

Voltbass

Est-ce que tu pourrais nous en dire plus sur ton éditeur, Au Diable Vauvert ?

Christophe

C’est depuis 2007 qu’on se connait avec Marion Mazauric et qu’elle suit mon boulot, et c’est aussi sous l’impulsion de Raphaël Eymery qui est éditeur au Diable qu’on a signé. Marion me fait une confiance absolue, là je suis parti sur une sorte de cycle post-apocalyptique qui va durer 10 ou 15 volumes et elle me laisse carte blanche, elle est complètement ouverte, c’est très rassurant. Et puis son catalogue est quand même assez incroyable : Welsh, King… Elle a appris avec Jaques Sadoul qui a créé la collection SF en France, en gros il a fait connaitre aux français Lovecraft, Dick… Et la première collection qu’elle a monté c’est Nouvelle Génération. Elle a un catalogue tellement irréprochable et sur ce qu’elle fait au Diable elle défend vraiment bec et ongles tout ce qu’elle publie, elle est très attachée à ses auteurs.

Voltbass

Pour finir un mot sur les deux soirées qui précédent au Fotomat’, les 17 et 18 octobre ? Est-ce qu’il y a une continuité ?

Julien

En fait ça aurait presque pu faire une programmation de festival sur trois jours. Il y a trois propositions qui sont très spécifiques, très en phase avec le Fotomat’ en termes de recherche, d’attentes… Le jeudi 17 c’est la soirée qui s’appelle Scrapscrat avec encore des performances très vivantes, avec NikodiO qui dessine sur des vinyles, la rotation du vinyle qui créé l’animation, et Bruno Bouchard qui travaille sur des pellicules, par perturbation du support. Et donc on va faire un film en direct, on va créer en live une histoire visuelle qui durera 40-45 minutes, on en fera deux dans la soirée. Et à partir de là des musiciens vont venir faire un nappage sonore : Théophane Bertuit avec son piano Svestito et Adrien Conte au clavier. La semaine précédente ils font quelques jours de résidence tous les quatre à Polyphone Records.

Et le lendemain, le 18, là aussi c’est né d’un dialogue, avec Arnaud Simetière, l’idée c’était qu’il vienne nous faire des mix un peu jazz, des musiciens viendront récupérer le tempo et partir en impro dessus. On part du mix et on repart en live, on déconstruit : au départ c’est une musique vivante et on la mixe, et là on repart de l’enregistrement mort pour le faire revivre. Ça va être une création de paysages sonores, on va mettre des transats, des couvertures, les gens pourront mettre des coussins et se mettre dans un dispositif d’écoute, c’est une musique qui sera faite pour voyager. Deux musiciens vont venir agrémenter ces paysages sonores, Franck Pilandon au saxophone et là encore Théophane Bertuit avec son piano. Donc il y aura trois soirées un peu hors normes, pour moi trois soirées qui sont vraiment emblématiques du Fotomat’, dans une logique de rencontres, de création, sous des formats atypiques, et qui seront sûrement les soirées les plus vivantes de l’année.

Plus d’infos sur les prochaines dates du Fotomat’ :

17 octobre – Scrapscrat

18 octobre – Constellationn

19 octobre – Gang Bang

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